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Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/114

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LA VITALITÉ DU RÉGIME

est quasi abandonnée. Un mystère continue d’envelopper d’ailleurs cette disparition du bouddhisme hindou. Il semble bien que pour en rendre compte on doive renoncer à la première explication qui s’était présentée à l’esprit : on ne trouve pas trace d’une persécution systématique par laquelle les bouddhistes auraient été chassés. Moins peut-être parce que l’âme hindoue, comme on l’a dit parfois, ne connaît pas l’intolérance dogmatique, que parce qu’il a toujours manqué, à la société hindoue, ce degré d’unité politique sans lequel une grande persécution s’organise difficilement[1]. Cela laisse le champ libre aux hypothèses ; cela permet en particulier de supposer sans invraisemblance que si, devant un retour offensif de la tyrannie brahmanique, le bouddhisme a dû céder progressivement, c’est qu’il y avait en effet, entre son esprit et les tendances intimes de la civilisation hindoue, entre les théories égalitaires de l’un et les instincts anti-égalitaires de l’autre, une incompatibilité congénitale.

Mais il faut avouer qu’il est malaisé d’obtenir de cette thèse une preuve positive. On ne voit point de fait qui permette d’assurer que si nombre d’Hindous ont abandonné le bouddhisme, c’est que des scrupules de caste les empêchaient d’y demeurer. Et puis le bouddhisme n’a-t-il pas prospéré trop longtemps en diverses régions de l’Inde, n’a-t-il pas laissé, dans celles mêmes d’où il a complètement disparu aujourd’hui, trop de monuments, trop de preuves durables de sa fécondité pour qu’on puisse supposer entre son génie et le génie hindou on ne sait quel antagonisme vital ?

Force est donc de chercher dans une tout autre direction le mot de l’énigme proposée. Et peut-être le trouverait-on plus facilement si l’on portait l’attention non plus sur ce qui oppose les tendances générales de l’Inde et la tendance particulière du bouddhisme, mais sur ce qui les

  1. Barth, The religions of India, p. 134 sqq.