Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
183
LE DROIT

pables. Si les premières formes de la justice « intertribale » ont disparu, celles de la justice « tribale » se sont au contraire solidement maintenues. On sait combien longtemps, dans toutes les civilisations, les collectivités élémentaires gardent le droit de châtier ceux de leurs membres qui, en les souillant par leurs désordres, menacent leur intégrité même. Et elles les châtient de la façon la plus terrible rien qu’en les expulsant. Livré à ses seules ressources, le « hors-la-loi » – l’isgoï des anciens Russes, l’abrek des Ossètes, le « loup » des Grecs – est exposé à tous les périls 383. Personne pour l’aider ni pour le venger ; « c’est une poire sèche qui tombe de l’arbre sans éveiller l’attention de personne » 384. L’Hindou qui souille sa caste est exposé à une pareille excommunication. Encore aujourd’hui on nous dit que rien n’est plus redouté, et dans les campagnes au moins, rien n’est plus terrible par les conséquences que cette exécution solennelle, devant la caste assemblée 385.

De ces attributions judiciaires de la caste, nous avons vu que les codes brahmaniques ne gardent pas seulement le souvenir ; ils en tiennent le plus grand compte. Non seulement, par les expressions qu’ils emploient ils rappellent que c’est en fonction de la caste, toujours prête à brandir le fouet de l’excommunication sur le pécheur, que se définissent originellement les péchés : patanyîa, atipâtaka, mahâpâtaka, anupâtaka signifient autant de fautes qui exposent à être exclu de la caste 386. Mais cette exclusion même, les codes continuent de la présenter comme une menace toujours suspendue. Elle est la sanction suprême, dont la perspective contraint le coupable à se prêter à l’application des autres. Et c’est pour éviter cette sanction qu’il

1. V. Glotz, ouvr, cit., p. 28. Kovalewsky, ouvr. cit., p. 197.

2. Proverbe du Daghestan cité par M. Kovalewsky.

3. JoUy, R. a. S., p. 119. Senart, Les CasteSy p. 85. Cf. Dubois, Mœurs ^es Hindous, p. 36.

4. JoIIy, ibid., p. 11 5.