Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/251

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savoir qu'en Inde surtout la réalité répond aussi peu que possible aux postulats de l'écono­mie politique classique des Occidentaux. L'homme moyen de chez nous, dit M. Ranade 473, est aux antipodes de l'homo œconomicus. Ce n'est pas seulement la tradition religieuse qui ôte à la majorité des Hindous ce désir du plus grand gain par le libre échange que l'économiste classique prête à l'individu normal : la pensée leur viendrait-elle de la « chasse aux dollars », que l'organisation sociale leur refuserait les moyens de la poursuivre. Plus qu'ailleurs, il apparaît ici que la compétition illimitée n'est qu'un mythe. De ce qui restreint son jeu en Occident, les économistes ont pu faire méthodiquement abstraction : mais ici, « le frottement » semble plus fort que le mouvement même. Le groupe au sein duquel la personne est née fixe pour la vie, avec son genre d'occupation et son cercle de relations, sa situation sociale. Qu'est-ce à dire sinon que tout s'oppose, sous ce régime, à cette diversité, à cette variabilité, à cette mobilité, qui correspondent dans nos sociétés occidentales à ce qu'on appelle l'indi­vidualisme ?

Mais du même coup, en même temps que la liberté à l'individu, c'est la solidarité que le système des castes refuse à l'ensemble social. Et cela même devait entraîner, au-delà des conséquences politiques plus évidentes, de nouvelles conséquences économiques.

La solidarité la plus étroite règne à l'intérieur de chaque caste. Les obser­vateurs ont admiré souvent, après la sévérité avec laquelle les membres de la caste se contrôlent, la fraternité avec laquelle ils se soutiennent mutuellement. Mais en revanche, d'une caste à l'autre, les Hindous resteront les uns pour les autres comme des étrangers, et témoigneront, comme disait Jacquemont 474, de « la plus