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Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/252

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abominable indifférence ». On a justement remarqué 475 que la sympa­thie ne se nourrit pas seulement de similitudes : la diversité aussi peut l'entretenir, par cela même qu'elle est la condition de la collaboration : « Qui se ressemble s'assemble », mais « qui diffère se complète ». C'est en ce sens qu'il était permis d'escompter les effets de rapprochement dus à la division du travail elle-même. Mais encore faut-il, pour que cette heureuse influence se fasse sentir, qu'elle ne soit pas contrariée par le courant général du système social. Si celui-ci travaille à approfondir les fossés entre les groupes mêmes qui collaborent, le bénéfice moral de la collaboration est perdu. Or, n'est-ce pas précisément ce qui devait arriver en Inde ? Trop de scrupules tradition­nels, trop de mépris instinctifs séparent les membres des diverses castes, ici, pour qu'ils songent à se traiter en collaborateurs. Il semble que l'esprit d'isole­ment dont les castes sont animées, comme l'électricité de même sens dont sont chargées les balles de sureau, les force à se repousser au moment même où elles entrent en contact. D'où cette désunion foncière de la société hindoue, et ces sentiments d'hostilité ou d'indifférence mutuelle qui ont frappé tous les observateurs 476. On a souvent commenté le trait rapporté par Mégasthène : le paysan hindou continuant de pousser paisiblement sa charrue à côté des armées en lutte. Et les uns se plaisent à y voir la preuve du respect éprouvé par le guerrier hindou pour l'agriculture, nourrice des sociétés ; d'autres font re­marquer que le fait est un symptôme, entre bien d'autres, d'une grave maladie sociale – parqués dans leurs castes, les Hindous restent étrangers « aux meilleurs des intérêts et des idéals qui sont le fondement de toute saine vie nationale » 477.