Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/271

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dieu. Théories où il est permis de reconnaître un reflet de notions très primitives. L'acte religieux par excellence semble conçu ici sur le type du procédé magique. Il est une sorte d'opération mécanique qui, sans la moindre intervention morale, met les biens et les maux dans la main du sorcier. « Une religion aussi grossière, dit M. Sylvain Lévi 507, suppose un peuple de demi-sauvages, mais, ajoute-t-il, les sorciers, les magiciens ou les chamanes de ces tribus ont su analyser leur système, en démontrer les pièces, en étudier le jeu, en observer les principes, en fixer les lois : ils sont les véritables pères de la philosophie hindoue. » Sur ces rites dont l'accomplis­sement est devenu leur monopole, les Brahmanes méditent et dissertent à l'infini : un arbre immense sort de l'humble noyau, par la vertu de ces pro­fessionnels de la spéculation.

Et sans doute leur spéculation même plonge très bas ses racines. Ce ne sont pas seulement des rites, ce sont des mythes primitifs qu'on sent à la base des Brâhmanas. On y retrouve et l'histoire de l'œuf flottant d'où tout sort, et celle de l'homme qui se coupe en morceaux pour produire le monde, et celle des espèces animales engendrées par les métamorphoses d'un couple divin. Selon M. Lang, « il n'y a peut-être pas un mythe répandu dans les races inférieures qui n'ait sa contrepartie dans les Brâhmanas » 508. Mais ici plus qu'ailleurs cette matière première est travaillée, étirée et raffinée. Nulle part sous les récits d'aventures ne se glissent tant d'équations théologiques. Nulle part on n'oppose tant d'abstractions, pour finalement les identifier. Prajâpati est encore, d'un certain point de vue, un homme démesuré, un grand être concret : mais il est en