Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
LES RACINES DU RÉGIME DES CASTES

des prêtres. Aujourd’hui même cette façon de voir est loin d’être complètement abandonnée. Les profits que les Brahmanes tirent du système des castes sont si évidents ! On applique instinctivement la règle : is fecit cui prodest. On compare les Brahmanes aux Jésuites[1]. « Mauvais génies du peuple hindou[2] », ils l’ont divisé pour régner sur lui. Le brahmanisme est comme le soleil de l’Inde. C’est lui qui a donné naissance aux différents corps du système et c’est autour de lui qu’ils évoluent ; il est leur origine et leur fin.

Que nous ayons le droit aujourd’hui de nous défier a priori des explications de ce genre, M. Senart a raison de le faire observer[3]. Légitimement elles apparaissent comme démodées. Elles sont contraires, pourrait-on dire, à l’esprit nouveau de la science sociale. Il faut laisser au XVIIIe siècle l’erreur « artificialiste », qui ne voit dans la plupart des institutions sociales que le résultat de la préméditation des prêtres. L’étude impartiale des institutions a montré que celles qui sont fondées sur le seul charlatanisme sont rares et fragiles. Quand il s’agit surtout de règles aussi complexes et aussi durables que celles du régime des castes, une invention délibérée est invraisemblable. Faire dépendre l’organisation de la société hindoue de la seule volonté des Brahmanes, c’est exagérer la part des créations volontaires dans l’histoire des sociétés humaines.

C’est exagérer d’ailleurs, observe M. Dahlmann[4], la mainmise de la religion sur la civilisation hindoue. Il est très vrai que le souci religieux est partout présent en Inde,

  1. Schröder, Indien’s Literatur und Cultur, p. 152, 410.
  2. Oldenberg. Le Bouddha, sa vie, sa doctrine, sa communauté (trad, Foucher), Paris, F. Alcan, 2e édit., 1903. Sherring, Natural History of Caste, cité par Senart, les Castes dans l’Inde, p. 178.
  3. Les Castes dans l’Inde, p. 177 sqq.
  4. Das Altindische Volkstum und seine Bedeutung für die Gesellschaftskunde. Cologne, Bachem, 1889, p. 134.