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LA SPÉCIALISATION DES CASTES ET LA GHILDE

et non pas seulement dans les spéculations théoriques, mais dans les moindres manifestations de l’activité pratique. Au regard de l’âme hindoue, rien n’est plus important que le sacrifice : c’est par lui que chaque jour la vie du monde est renouvelée, l’ordre universel restauré. Il n’en est pas moins excessif de croire que toute l’énergie de l’Inde s’est concentrée, dès l’origine et pour toujours, dans la caste des sacrificateurs, et que le peuple, endormi par leur magie, a vécu dans une sorte de passivité léthargique, maniable à merci, privé de ce sens de la réalité qui fait les races fortes, incapable de penser par lui-même et d’agir virilement[1]. En fait, le peuple hindou a donné, en dehors du cercle brahmanique, cent preuves d’une activité intellectuelle et matérielle des plus fécondes. S’il est vrai que le droit primitif auquel il se soumet est tout religieux, l’Épopée révèle la formation d’un droit nouveau, moins ritualiste et, si l’on ose dire, plus laïque : c’est le dharma, opposé au rita[2]. Dans les codes sacrés déjà, ne voit-on pas les intérêts commerciaux se tailler une large place ? L’existence d’un corps de droit commercial volumineux est le signe d’un commerce actif, comme la largeur du lit est le signe de la puissance du fleuve[3] ; que l’on dénombre donc les règles des codes hindous qui concernent les finances, la police des marchés, les droits de douane, les prêts à intérêt, les héritages[4], et l’on aura la preuve que la vie économique n’a pas été en Inde aussi stérile que l’imaginent ceux qui croient que l’Inde n’a vécu que dans et par la religion.

C’est cette vie économique au contraire qu’il faut étu-

  1. La plupart de ces expressions sont employées par Oldenberg. La Religion du Véda, Introd. Cf. le Bouddha, loc. cit.
  2. C’est ce que M. Dahlmann a essayé de démontrer dans un autre livre : Das Mahâbârata als Epos und Rechtsbuch. Ein Problem aus Altindiens Cultur und Literaturgeschichte. Berlin, Dames, 1895.
  3. Ihering, Vorgeschichte der Indo-Europäer, Leipzig, Duncker, 1894, p. 225.
  4. Dahlmann, Das Altind. Volkstum, p. 45, sqq., " 125 sqq. Cf. Jolly, Recht und Sitte, p. 26-44.