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LES RACINES DU RÉGIME DES CASTES

dieux. Sa religion est par essence fermée au mleccha. Et cependant on ne saurait soutenir, remarque Lyall, que les prosélytes manquent au brahmanisme. Aucune religion contemporaine ne compte peut-être plus de conversions à son actif. Mais une conversion au brahmanisme n’est pas l’adhésion à un dogme précis. Qu’un Brahmane convertisse une tribu d’aborigènes, cela ne veut pas dire qu’il bouleverse leurs croyances, mais qu’il leur apprend à respecter les coutumes de la caste et à le respecter lui-même par-dessus tout[1]. C’est principalement en se faisant adorer que le Brahmane conquiert des âmes. Et le grand article de foi de la religion qu’il répand, c’est le caractère sacro-saint du prêtre-né.

Sur ce caractère de la race des Brahmanes repose donc toute la vitalité de leur religion. S’ils continuent de dominer de si haut la masse du peuple hindou, et en imposent même aux aborigènes, ce n’est pas à leur discipline sociale qu’ils le doivent, ni à leur rigueur doctrinale ; c’est au seul prestige de leur sang. Le Brahmane est d’une essence spéciale ; il apporte en naissant des vertus que nul autre ne peut acquérir ; c’est sur cette idée qu’est assise la puissance de la caste brahmanique.

À vrai dire, si nous prenions à la lettre certaines expressions de la littérature brahmanique, nous croirions que la dignité de Brahmane était le prix du savoir et de la vertu, plus que le privilège du sang[2]. « Pourquoi demander le nom de ton père et de ta mère ? La science des Védas, voilà ton père »[3]. Le vrai Brahmane « est celui qui

  1. Cf. Sylvain Lévi, La Science des religions et les religions de l’Inde, leç. d’ouv., p. 2. « Indifférent aux dogmes comme aux rites, commodément appuyé sur l’autorité fort maniable des Védas, le Brahmane poursuit avec ténacité l’idéal tracé par ses législateurs : sa propagande lentement victorieuse rêve d’imposer à l’Inde entière la savante hiérarchie des castes, qui l’élève même au-dessus des dieux. »
  2. Senart, op. cit., p. 134.
  3. Cité par Weber, Ind. Stud., X, p. 71.