Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
LA HIÉRARCHIE DES CASTES ET LE SACERDOCE

a entendu[1]. » De fait les codes sacrés soumettent le jeune Brahmane à un long noviciat ; il doit consacrer plusieurs années à entendre, de la bouche vénérée de son gourou, la science des Védas. Mais cette initiation, si elle est nécessaire, ne saurait être suffisante ; rien ne supplée au don de la race. On naît Brahmane, on ne le devient pas. Nascitur, non fit. Les expressions qui pourraient nous faire croire le contraire ne sont rien « qu’un détour pour glorifier la vertu et le savoir supposés des prêtres ; elles n’emportent en aucune façon l’oubli des droits que crée seule la naissance »[2]. Le respect de ces droits, la croyance aux vertus propres du sang brahmanique est le pivot du monde hindou.


D’où vient donc que l’Inde tout entière ait été, durant tant de siècles, comme fascinée par ce prestige spécial ?

Les origines mêmes de la civilisation hindoue expliquent sans doute, pour une part, la haute idée qu’elle se fait des qualités de race. Elle se présente en effet comme l’apport d’une race supérieure, imposant à des barbares tous les raffinements qui leur manquent. Les hymnes védiques témoignent non seulement de la colère des envahisseurs contre ceux qu’ils combattent, mais encore et surtout de leur mépris pour ceux qu’ils soumettent. Entre l’Ārya et le Dasyu les différences, tant morales que physiques, sont éclatantes. Quelle distance entre le noble Ārya au teint clair, au nez fin, scrupuleux observateur des lois religieuses, et le Dasyu noir, au nez épaté, qui mange n’importe quoi et n’offre pas de lait aux dieux[3] ! Dans ce dernier portrait, on a voulu reconnaître l’aborigène de nos jours comme, dans le premier, l’Hindou de haute caste. Et l’on est parti de là pour élaborer une théorie suivant laquelle la hiérarchie des castes correspondrait

  1. Cf. Oldenberg, Le Bouddha, p. 13.
  2. Senart, loc. cit.
  3. Cf. Zimmer, Altind. Leben, p. 105-115.