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PRÉFACE

vue, il ne sera pas inutile de pouvoir sortir de cette civilisation même, d’être capable de confronter le présent avec le passé, le prochain avec le lointain. Pour leur faire mesurer le prix de la liberté de conscience, par exemple, expliquons-leur qu’il a existé, qu’il existe encore nombre de sociétés dans lesquelles, en vertu même de l’union intime qu’elles maintiennent entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, l’intolérance apparaît comme un droit, bien plus, comme un devoir : ils comprendront mieux pourquoi, dans des sociétés constituées comme les nôtres, elle ne saurait apparaître que comme un accident, ou une survivance. Pour leur faire apprécier à leur valeur ces idées égalitaires qui commandent à notre évolution sociale, traçons-leur le tableau d’une société reposant tout entière sur l’idée de l’inégalité des hommes ; opposons la société hindoue pétrifiée dans ses castes à nos nations en marche vers la démocratie. D’une manière plus générale opposons à l’immobilité sacrée de l’Orient l’activité audacieuse de l’Occident. On est mieux préparé, par ces perspectives lointaines elles-mêmes, à être de son temps et de son pays, à servir consciemment la civilisation moderne.

Nourri d’observations de ce genre, un cours de morale ne deviendrait-il pas plus substantiel, et plus efficace en même temps que plus intéressant ? Ne serait-il pas plus vivant par cela qu’il s’alimenterait d’exemples empruntés, non pas seulement à notre vie personnelle, mais à la vie même des sociétés ? N’aurait il pas plus de chances, en satisfaisant avec des faits sociaux l’imagination de nos élèves, de les mieux diriger et de les mieux lancer, pour ainsi dire, vers une réalité mieux connue et mieux appréciée ?