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PRÉFACE

ment de taille à dire aujourd’hui à l’action sociale : « Tu n’iras pas plus loin. » C’est pourquoi allons sans crainte et enseignons le monde. Nul ne peut prédire aujourd’hui ce qui germera demain dans notre sillon.

S’il est d’ailleurs un sentiment auquel la philosophie sociale nous habituera, précisément parce qu’elle rassemble et confronte les résultats des sciences sociales particulières, c’est celui de la pluralité et de la diversité des forces qui concourent au mouvement des sociétés. Ce mouvement ne nous apparaîtra nullement comme le produit d’une force unique et mécanique. Une philosophie sociale vraiment critique et synthétique n’a rien de commun avec cette espèce de matérialisme fataliste qu’on nous présente quelquefois comme le dernier mot de la science sociale. En mettant le système pédagogique à sa place dans l’ensemble, au milieu des systèmes domestique ou politique, économique ou religieux, elle nous rappelle qu’il n’est pas « tout ». Mais elle n’insinue aucunement qu’il n’est « rien ». Et il s’ensuit que nous pouvons assurément faire « quelque chose ».

Dira-t-on que ce sentiment ne suffira pas pour dresser et soutenir notre énergie méthodique ? Certes l’aveuglement de l’enthousiasme est un excitant précieux. Mais combien dangereux aussi, surtout lorsqu’il s’agit de produire non pas seulement un sursaut, un élan momentané, mais l’application réfléchie de toute une vie ! Celui qui part en guerre en croyant qu’il va tout abattre et tout conquérir risque de se trouver, au premier obstacle, désarçonné, désemparé, désenchanté. J’ai plus de confiance en celui qui, ayant mesuré les difficultés sait qu’on ne prend pas le monde en un jour. Ma liberté ne demande pas à bondir jusqu’à la lune, mais à faire