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PRÉFACE

Ainsi, élargir en moi la connaissance scientifique des « nécessités » historiques, ce serait rétrécir en moi le sentiment de ma liberté. Ainsi le progrès des sciences, et en particulier des sciences sociales, pourrait détendre le ressort intime de la conscience.

Demandons-nous donc, en restant sur le terrain de la pratique, quelles conditions sont nécessaires pour que je sois incité à tendre mon activité réfléchie. Il faut, nous semble-t-il, et aussi il suffit que je reste persuadé que cette activité produira un résultat, si modeste qu’il doive être, et, si peu que ce soit, changera quelque chose au mouvement spontané du monde. Mais, pour qu’on pût m’enlever cette persuasion, et me prouver péremptoirement que le cri que je vais pousser n’éveillera pas d’écho, que le grain que je vais lancer séchera sur le roc stérile, quelles conditions seraient nécessaires à leur tour ? Il y faudrait une science capable de prévoir, dans leur dernier détail, les résultantes des forces innombrables qui concourent au mouvement universel. L’inefficacité de mon effort ne pourrait en un mot être calculée que par une science totale.

Or avons-nous besoin d’ajouter que notre science n’est pas totale ? que sans doute elle ne le sera jamais, s’il est vrai que l’univers est infini ? qu’en tous cas les sciences sociales sont à mille lieues de cet état idéal ? Les lois que l’économie politique, la science du droit, la morphologie sociale ont pu établir jusqu’ici, à force d’abstractions isolantes, ne se présentent comme vraies que sous toutes réserves, et toutes choses égales d’ailleurs. Elles prétendent exprimer des tendances bien plutôt que des nécessités. Et elle aura beau relever toutes ces tendances, la philosophie sociale n’est nulle-