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QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

doute, c’est chimère que de chercher une société en soi, une société en l’air, si l’on peut dire, qui aurait son siège ailleurs que dans les consciences particulières. Mais la sociologie n’a nul besoin, pour se constituer, de créer cet être inconnu. Les individus sont-ils seulement réunis par des rapports constants que leur individualité ne suffit pas à expliquer ? C’en est assez pour l’activité des sociologues. « L’armée » n’est pas en dehors des soldats, et cependant, tandis que les soldats se renouvellent, l’armée garde ses lois, ses mœurs, son esprit même. « Le monde » a beau n’exister nulle part : ses conventions débordent, pour ainsi dire, chacune des personnes qui les supportent, et comme elles l’ont précédée, elles lui survivent. Les fidèles meurent, « l’Église » demeure. C’est dire que, tandis que les individus qu’ils unissent changent, certains rapports sociaux peuvent rester les mêmes. De même donc que je puis, abstraction faite de leurs différentes matières, — or ou marbre, granit ou chêne, — décrire, comparer, classer les formes de différentes statues, de même je puis, abstraction faite des différences propres aux individus, décrire, comparer, classer les rapports qui les relient : ce seront les « formes sociales ».

Dans le genre ainsi défini, il faudra retrouver les espèces. Et cette recherche pourra partir de la considération des caractères les plus extérieurs, les plus superficiels à première vue.

Par exemple, puisque toute société consiste en un rapport entre des unités, ne devons-nous pas, tout d’abord, faire entrer le nombre de ces unités en ligne de compte ? La distinction entre grandes et petites sociétés est plus féconde qu’on pourrait croire, et plus facile à ou-