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QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

par de larges traits, l’influence que la société en général exerce sur l’homme, on risquerait d’obtenir des esquisses, majestueuses sans doute, mais peu précises. Pour qu’une pareille influence pût être mesurée avec quelque exactitude, il faudrait que des hommes nous fussent donnés en expérience, qui n’auraient jamais vécu en société : ce qui manquerait à ces êtres d’exception nous permettrait d’estimer ce que la société donne aux autres. Mais, après bien des théories, on s’est avisé de ce fait, que jamais l’homme réellement isolé ne s’était présenté à l’observation. Essaiera-t-on de réaliser artificiellement, pour l’amour de la sociologie, cet individu solitaire que la nature ne lui fournit pas ? Quelque religion qu’elle ait pour les sciences, et en particulier pour les sciences qui la prennent pour objet, l’humanité n’a pas encore autorisé cette expérience-là. Il y faudrait un nouveau Psammétik. Et encore l’expérience serait-elle loin d’être concluante : fût-il séquestré dès sa naissance, que serait cet individu artificiellement isolé, sinon le produit de mille générations d’individus naturellement associés ?

Ce que l’observation refuse, force serait donc de le demander à la spéculation. Elle pourrait soutenir avec vraisemblance, par exemple, que « l’âme est fille de la cité ». Mais, apparemment, quelque puissance qu’on attribue à l’association, on ne croira pas sans doute qu’il suffise d’établir certains rapports entre des êtres inanimés, pour leur donner une âme. Le sociologue métaphysicien nous répondra peut-être : « Les rapports qui associent ne sont point des rapports purement extérieurs, qui ne font que juxtaposer des corps, mais des rapports en quelque sorte intérieurs, qui mettent les