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QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

sociales analogues peuvent prospérer, ou, réciproquement, des formes sociales opposées chez des races parentes. Bien plus, dans une même société, des individus de sangs très différents peuvent se trouver étroitement unis. Déjà la famille compte bien d’autres liens que les liens physiques ; souvent, dès la plus haute antiquité, la parenté n’y est que fictive, et ce sont des croyances communes et des intérêts communs qui, bien plutôt qu’une commune généalogie, en constituent la véritable unité. A fortiori la nation se libère-t-elle, et de plus en plus, des nécessités ethniques ; elle rassemble et fond dans son creuset les races les plus diverses, et les distinctions qu’elle établit entre ses membres sont loin de correspondre toujours et partout aux distinctions de sang. En Angleterre, sous Henri ii, les légistes déclaraient déjà impossible de distinguer un Anglais d’un Normand. En Gaule, on sait maintenant avec quelle rapidité singulière les races germaine, celtique et latine se confondirent. Sous l’analyse de Fustel de Coulanges, on a vu se dissiper la plupart des thèses ethnographiques si longtemps chères aux historiens. L’Invasion germanique est apparue, non plus comme une lutte de races, mais très exactement comme une lutte de formes sociales, à savoir comme la lutte du régime de l’Empire contre le régime de la bande guerrière. — C’est ainsi que les formes sociales, bien loin de n’être, toujours et partout, que les conséquences des dispositions ethniques, en apparaissent souvent indépendantes, et capables d’agir sans elles, ou même contre elles. Cela suffit à prouver que, si la race explique certains caractères des sociétés, elle ne saurait être rendue seule responsable de tous leurs caractères.