Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
35
LA SOCIOLOGIE POPULAIRE ET L’HISTOIRE

blés, ou de « l’électricité » qui se dégage de leur rassemblement. On dira que, dans sa conscience individuelle, on a senti les vibrations de la « conscience collective », le frisson de « l’âme des foules ».

Expressions poétiques. — Elles ont seulement l’inconvénient de rendre, dès d’abord, la sociologie suspecte aux esprits scientifiques : tant qu’ils ne nous entendront parler que d’ « âme collective » se dégageant à la manière de l’électricité du contact des âmes individuelles, ils se défieront, flairant la métaphore vide, l’abstraction réalisée, la logomachie. Laissons donc les mots pour les choses, et abandonnons les substances, pourvu que nous retenions les phénomènes. Je dis qu’en commettant au milieu d’une foule des actions que seul vous n’auriez pas commises, vous avez constaté, par expérience personnelle, un phénomène social. Chacun des acteurs de la manifestation aurait pu remarquer ainsi, en lui-même, une sorte de hausse de ses passions, due au contact des passions de tous : c’est-à-dire que, par leur réunion, les sentiments individuels ne s’additionnent pas seulement, ils se multiplient. En ce sens, s’il est vrai que les hommes pensent, sentent et veulent réunis autrement qu’ils ne voudraient, sentiraient et penseraient isolés, n’est-il pas permis de dire que leur réunion même agit sur les hommes ? Nous avons tous à de certains jours éprouvé cette sorte d’action : ces jours-là nous avons donc perçu, comme dans un éclair, la réalité des faits sociaux.

Mais pour un éclair qui déchire la nuit, combien d’effluves invisibles ! À de rares occasions, lorsqu’elle varie brusquement, nous ressentons la pression atmosphérique ; et pourtant, c’est tous les jours de notre vie