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QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

qu’elle pèse sur nos épaules. Il en est ainsi de la pression sociale. Ce n’est pas seulement par hasard, au coin d’une rue, un jour d’émeute, qu’elle s’abat sur nos âmes : pour les mieux modeler elle nous entoure et nous étreint du berceau à la tombe, et du forum au foyer. Nous accusions tout à l’heure la société des hommes, réunis en foule, de nous avoir fait oublier nos habitudes et nos idées ; mais ces idées et ces habitudes mêmes, si nous cherchions qui nous les a dictées, sans doute retrouverions-nous, sous une autre forme, la société encore. La foule n’est qu’une espèce de société toute rudimentaire, éphémère et amorphe ; si elle agit sur les individus qu’elle rassemble, ce n’est que par les contacts instantanés et déréglés qu’elle établit entre eux. Combien plus puissantes doivent être les sociétés constituées et par cela même durables ! Introduisant entre les éléments qu’elles organisent des rapports constants et réglés, elles les soumettent à des influences qui ne deviennent insensibles que parce qu’elles sont incessantes. Ce serait donc mutiler la sociologie que de la réduire à la psychologie des foules : des formes sociales singulièrement plus complexes et plus stables demandent qu’elle définisse leur nature et démonte le mécanisme de leur action.

Imaginez qu’au lieu d’être fils d’une nos petites familles modernes, monogamiques et individualistes, dont les membres, non seulement vivent à part des familles voisines, mais encore possèdent, vis-à-vis les uns des autres, des droits définis et reconnus, vous apparteniez à quelqu’une de ces zadruyas comme on en voit encore chez les Slaves méridionaux, grandes familles communistes, où les ménages ne vivent pas séparés, où les