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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

Au premier abord il semble que Cournot se serait indubitablement porté du côté des « historiens-historisants » : est-il une philosophie mieux faite que la sienne pour justifier leurs défiances à l’égard des lois historiques ? Et, en effet, s’ils se les représentent comme fuyantes et insaisissables, si même ils en jugent, au fond, la notion contradictoire, cela tient par-dessus tout au sentiment qu’ils gardent de l’importance causale des occurrences imprévisibles. Ils se plaisent à nous montrer, par exemple, que l’évolution politique de l’Europe contemporaine n’a nullement été déterminée « par des forces profondes et continues plus larges que les actions individuelles », mais par un certain nombre « d’accidents ». Vouloir faire abstraction de pareils accidents en histoire, ne serait-ce pas vouloir faire abstraction de l’essentiel ? Par des voies différentes, on pourrait soutenir que toutes les argumentations des anti-sociologues convergent finalement vers ce même aphorisme, suffisant selon eux pour limiter les importations déplacées de méthodes empruntées aux sciences de la nature : « La notation des hasards est la tâche spécifique de l’historien. » Quel renfort cette conception ne doit-elle pas recevoir des théories d’un Cournot, s’il est vrai que Cournot est par excellence le théoricien du hasard ?

On sait en effet quelle large place il réserve dans son système à l’idée de hasard. Elle est à ses yeux non seulement la clef de la statistique et de l’étiologie historique, mais le « principe de toute espèce de critique[1] ».

  1. Considérations sur la marche des idées et des événements, I, p. 2.