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L’HISTOIRE ET LA SCIENCE SOCIALE

La probabilité mathématique, l’induction, l’analogie, la critique des témoignages et des documents de l’histoire ont cela de commun qu’elles impliquent toutes plus ou moins l’idée du hasard[1]. » Il faut la garder présente à la pensée si l’on veut par opposition reconnaître ce qui mérite le nom de rationnel, — c’est-à-dire précisément l’ordre dont nous ne saurions sans invraisemblance expliquer l’universalité, la simplicité, la beauté par un jeu de rencontres fortuites. L’ordre ne se dessine et ne nous devient sensible que sur un arrière-fond de désordre. Cesser de se représenter l’accidentel, ce serait se condamner à ne plus distinguer l’essentiel. En ce sens la notion de hasard s’érige en une sorte de catégorie de l’esprit, qui serait la condition du fonctionnement des autres.

Mais ce n’est pas assez dire. C’est prêter à la pensée de notre auteur une sorte de subjectivisme qui lui répugne. On sait qu’il s’est efforcé, en discutant les conclusions de la critique kantienne, de maintenir que la raison est fondée en réalité[2], « que nos représentations se règlent sur les phénomènes, et non les phénomènes sur nos représentations, c’est-à-dire que l’ordre qui est dans nos représentations vient de l’ordre qui est dans les phénomènes et non pas inversement ». Il est remarquable qu’il met, à ce point de vue, le principe du désordre sur le même pied que le principe de l’ordre. Il entend démontrer que l’idée du hasard repose, en dernière analyse, non pas seulement sur la nature de notre esprit, mais sur la nature des choses[3].

  1. Matérialisme, Vitalisme, Rationalisme, p.341.
  2. Essai sur les fondements de nos connaissances, II. p. 380.
  3. Matérialisme, 305.