Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/115

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les exploits auxquels nous eûmes prétendus, et que nous interdisent notre intime indolence, l’esprit de stagnation.

Afin d’échapper à soi-même, il n’est rien que chacun ne tente. Les suaves jardins élyséens, l’Eldorado et les beaux parcs de féerie nous exposent de pompeux bocages et de retentissantes charmilles où l’amour toujours est vainqueur, où les noirs sucs des fruits aromatisent l’azur, où des guirlandes brillent sur des fuites d’arceaux ! Ainsi de délicates fictions nous consolent île l’opprobre du temps, la grâce de notre antiquité nous édifie.

Pour moi, j’éprouvai âprement, aux blanches époques de mon enfance, l’ignominie et l’esclavage du monde. Dés que je commençai à frémir tendrement, j’entrevis le chaos qui composait mon cœur, et des paysages m’ont équilibré. J’héritai des cadences marines, j’en pris le mouvement et je devins viable. Puis mon ambition m’infatua. Au lieu des héros que je souhaite, j’ai seulement rencontré de ténébreux esclaves, et comme j’en attendais de singuliers desseins, ils me parodièrent des gloires décrépites. La vulgarité de leurs entreprises me détermina tout à coup à en désirer qui fussent feintes. Je lus, vous le savez, des contes et des idylles, des églogues, l’encyclopédie, ce qui me tombait sous la main. On me voulut glacé, et je m’étudiais à paraître placide.Mais que de tressaillements, d’émois ! En proie à des extases fantasques, je prévis l’effrayant désastre. Une mélancolie me combla d’angoisses. Je devins bilieux, brûlé d’humeurs noires, tout hypocondre, éperdu, assombri.