Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/119

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des laitages, d’aromatiques fromages glacés, un peu de pain et une étable pour l’accueil du passant qui erre.

C’est dans ce pays que je vins, vers le temps que de noires passions m’ont exténué. Comme j’en connus bientôt l’amoureuse innocence, je me séparai de mes tragédies, les sites de Shakespeare m’ont semblé pompeux, tout ampoulés d’une emphase fade, et je rejetai l’amour de Lénore. Cependant il m’est impossible de me subir. Quoiqu’une angélique modestie paraisse la plus trompeuse embûche, une telle humeur m’embellit. Je me sais contracté, tenace. La seule ambition qui me brûle est une volonté d’héroïsation, mais dés que j’ai pu prendre conscience de mon foyer, j’en ai désiré le désastre. J’eus souhaité que de faux héros rompissent mon immobilité. Dans les épopées que je lus, je prévis l’excuse de ma fièvre. J’y cherchai cette approbation. Ah ! quitter ce triste univers, voilà ce que je résolus. De factices paysages m’apprivoisèrent. Et si j’accueillais Léandre ou Hamlet, bien qu’ils fussent fragiles et extravagants, c’est qu’ils m’entraînaient hors de ma maison. En compagnie de ces héros je perdais le sens de ma destinée et de jeunes joies me pénétraient. — Plus tard la conception que je me fis de Dieu contribuait encore à mon désespoir. Si tendre, exceptionnel et beau que je me crus, la possibilité de conquérir le monde me plongea dans la contrition à cause de cette sombre apathie, car je me discernai incapable de la vaincre ! — Toutes mes années d’adolescence, je les ai passées dans le trouble, dans l’amertume et dans l’angoisse. De chimériques travaux sollicitèrent mon âme. Pour y échapper je songeai. J’ai formé l’entreprise