Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’assouplirent sous les vents. « Terre divine ! nourrice de mon âme ! »

Le temps de cette vivace ivresse dura des mois. Dans mes promenades vers les glaciers, combien je perdis la trace des héros ! Je ne m’en préoccupais plus. Ensuite des vertiges me saisirent. Que de fois, couché sous l’obscur ombrage froid et noir des forêts brillantes, j’en ai ressenti l’auguste émotion. Ma sensibilité m’épouvanta. Je devins malléable, aérien et diaphane. Je me discernai susceptible de tout. Le monde me parut identique à moi. Aux époques d’orage, l’antique foudre éclate, bondit, tumultueuse dans mes veines. Mon sang charrie de furieuses trombes d’éclairs, mêlées à l’éfume des rivières et aux fuligineux herbages. — Pris par des volontés adverses,’je défaillis, le cœur gonflé, battant d’infinies pulsations, semblable à celui de la mer que bouleversent des cadences d’étoiles. —Je me fis docile, asservi. Je m’entendis dans la tempête. On me présenta du pain et du vin, de pesants laitages parfumés. J’ai dormi dans le creux des grottes. J’ai vu s’en aller de joyeux faneurs pour l’acquisition du blé triomphal. Dans les pensées des hommes qui habitent ces régions, les travaux quotidiens figurent des luttes épiques. Des gerbes sont le prix des vainqueurs et ils mettent dans ce noble exploit toute leur allégresse et leur ambition.

Quand je revins au bourg natal, il ne restait rien de ces émotions que m’avaient inspirées de délicates fictions et les ariettes si surannées où se complaisait ma pensée ancienne, je reconquis le sens du monde. L’exiguïté du site où je vins habiter ne m’a permis aucun vertige. J’amoindris le Pan que j’avais été, je figurai la statuette