Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/276

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que cela semble. Célébrer la pluie et l’aurore sur un ton prévu et diaphane, uniformément personnel, -est-ce le fait d’un grand écrivain ? — Il faut que le poids même des choses précipite le mouvement verbal, batte dans le cœur des phrases, l’alourdisse ou bien y soupire, en secoue enfin l’obscure apathie.

Il est vrai que l’art du beau style est prodigieusement déprécié. Comme on en a perdu le sens, personne n’en a plus guère le goût. Et c’est aussi, par un usage assez •communément barbare, que le public loue des auteurs qui s’appuient sur un procédé pour ne le plus jamais abandonner. On s’étonne d’ailleurs qu’un acteur prononce sur le même ton des discours auxquels des passions diverses infusent un sang nouveau et des mouvements contraires. A chacun de nos sentiments nous donnons, dans nos entretiens, le sombre ou suave ou tendre accent qu’ils nécessitent. Mais lorsqu’un écrivain solemnise le bonheur, la mélancolie et l’amour, suivant le singulier jargon duquel il sut faire sa substance, le public le déclare sublime !

Je vois, dans cette coutume, une étrange barbarie. Dussé-je éprouver le courroux des gens que déconcerteront mes métempsycoses, il faut bien que j’avoue ici ne consentir nullement encore à me composer un spécial idiome, à l’aide duquel on trouverait bon que j’honore le ciel et la terre. Au reste, si je maintiens le vœu que j’ai fait naguère à Cérès, à Pan et à Bacchus, de me brûler, en quelque sorte, à la naissance de leurs nouvelles merveilles, afin de paraître en effet conformément à leur désir, c’est par politesse pour ces dieux, par respect et par discrétion.