Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/29

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point d’ensevelir mon enfance douloureuse, il me parut bon de me recueillir, afin d’étudier mon passé et pour restreindre mes ambitions. L’amertume dont j’étais empli brûlait mes intentions de joie. Le substantiel pain que je mange ne m’a point fait perdre le goût d’âpreté des aliments dont mon âme s’est nourrie. Voilà pourquoi je méditai. Au reste, l’état du monde m’était proprice. L’uniforme blancheur des régions ne nous disposait guère à des promenades. A travers le ciel tout gonflé, épaissi de ténébreuses nuées, des vols d’oiseaux glissaient comme sur l’onde d’un marais. Une trombe de vent roulait dans l’herbe. Souvent le vieux hêtre étincela de pluie. Au milieu des grands marécages, le soleil et la lune flottaient. De brumeuses pâleurs diffusèrent ces lieux. Retentissantes, les routes s’enflaient d’une boue amère.

En vérité, qu’eussions-nous fait dehors, là-bas, per-’ pétuellement, parmi de mornes campagnes spongieuses, où nul bœuf ne p :\turait plus et que décoloraient la neige, le jour froid et vitreux de l’aube, la mélancolie, le souffle de la mort ? Il était meilleur de ne point sortir. 11 valait mieux rester chez soi, prendre de l’intérêt pour son âme — un peu — les objets usuels, de banales besognes. Après l’énorme délice des étreintes chaudes, couverts de flammes, au sein des blés, il était bon de s’exiler. Hier, nous nous étions perdus. Les mers s’emparèrent de nos regards d’or. Le sang du sol gonfla mes veines. Fiévreusement j’embrassai les monts, je vins défaillir sur la paille des prés. Mais, dans le moment que l’ombre et la terre se chargent d’une glaciale atmosphère, il demeure loisible de se