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LA GORGE INFERNALE

dans une vallée plus large mais tout aussi désertique ; à droite et à gauche des rochers si rouges qu’on les dirait teintés de sang dessinent comme de gigantesques cathédrales. Sur le sol, d’énormes blocs aux formes fantastiques — lions, dragons ailés, licornes — peuplent étrangement la solitude de cette gorge infernale. Il semble qu’un troupeau formé de tous les animaux de la création, et fuyant devant quelque cataclysme, s’est trouvé là pétrifié dans sa marche, aux premiers temps du monde.

La soif nous gagne dans ce désert brûlant et nous allons, faute de mieux, nous partager une pastèque achetée sur la route à des caravaniers, quand nous apercevons dans une anfractuosité de la muraille rocheuse une maisonnette à toit plat : c’est celle du karaoul d’Yalgouz-Tograk[1]. Nous y sommes reçus par deux Chinois dont l’un est fortement intoxiqué d’opium. Sous le porche, des petits Célestes, nus comme la Vérité, jouent avec un jeune chien…

Le lendemain, Iskandar nous éveille avant l’aube et nous pénétrons dès le départ au travers d’un véritable brouillard de poussière. Toujours les mêmes colonnades de roches sanglantes pendant près de quinze kilomètres. C’est une vallée morte : pas un oiseau, pas la plus petite herbe verte. Puis c’est la montée par une sente aisée entre des cônes de sable gris, jusqu’à un col qui ouvre sur une plaine de gra-

  1. 2 140 mètres d’altitude.
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