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organisations ouvrières en rouages du mécanisme capitaliste[1].

Ainsi, dès qu’apparaissait une nouvelle société anonyme, ils démontraient que le capital se démocratise. Dès qu’on observait sur le continent une amélioration de la situation des ouvriers, ils concluaient que la révolution deviendrait peut-être superflue et que tout pourrait s’arranger pacifiquement. Et, comme on était « marxiste », on exhibait un tas de citations de Marx, isolées de leur contexte. On rappelait que Marx avait dit : « En Angleterre, peut-être on se passera de révolution », et aussitôt on généralisait. Engels ayant un jour parlé en termes peu flatteurs des combats de barricades, on tirait de ses paroles des déductions inadmissibles.

Ainsi, tout convergeait vers la fusion des organisations ouvrières avec le système capitaliste, vers la paix sociale. Le marxisme finit par perdre toute trace de son essence révolutionnaire ; il subit le sort, fréquent dans l’histoire, où les mêmes phrases, la même nomenclature, les mêmes étiquettes, les mêmes symboles recouvrent un contenu social et politique complètement différent. Dans la social-démocratie allemande — qui était un modèle du genre — la phraséologie, les symboles, toute l’enveloppe verbale du marxisme subsistaient, mais le contenu marxiste s’était évaporé. Il ne resta, de la doctrine forgée au cours des bouleversements sociaux du siècle précédent, qu’un fatras de paroles. Le marxisme avait perdu son caractère révolutionnaire ; au fond, c’était déjà une doctrine adéquate à la pratique opportuniste de la social-démocratie allemande, des partis ouvriers opportunistes, dégénérés et corrompus par leur bourgeoisie respective. On pourrait établir une espèce de carte géographique socio-politique montrant, pour chaque pays, le degré de lâcheté de ces « marxistes ». Plus un État était fort sur le marché mondial, plus sa politique était impérialiste, plus l’aristocratie ouvrière était nombreuse et puissante, plus le prolétariat était lié à la bourgeoisie, à son organisation étatique et plus les conceptions théoriques, même dissimulées sous des étiquettes marxistes, étaient bassement opportunistes. Oui, on pourrait dessiner une telle carte, qui illustrerait fort bien la liaison entre l’évolution sociale et politique de chaque pays et l’évolution idéologique de son mouvement ouvrier.

Telle est la seconde phase du marxisme. Sa physionomie est autre que celle du marxisme de Marx et d’Engels. Comme on le voit, c’est une tout autre formation sociale et politique, une tout autre idéologie. En effet, la base de cette idéologie, base constituée par la classe ouvrière des pays impérialistes les plus exploiteurs, surtout par leur aristocratie ouvrière, a bien changé. Et c’est lorsque ce processus social et politique

  1. C’est-à-dire ce que l’on appelle aujourd’hui l’intégration des organisations ouvrières (syndicales surtout) à l’État Bourgeois.