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EXPOSÉ.

il publia ses deux poèmes. Lorsqu’Élisabeth mourut, le chœur des écrivains d’une voix unanime pleura sa mort. Il fit encore bande à part et ne dit rien. » Enfin, quand il trépassa à son tour, cet auteur célèbre, pas une seule voix ne déplora sa perte, contrairement aux usages du temps, alors que la mort de Jonson, par exemple, suscita trente-trois éloges funèbres des poètes contemporains. Et tout cela n’est pas aussi naturel que M. Sidney Lee le veut dire.

Les historiens sont ingénieux, les historiens ont mille moyens de suppléer à ce qu’ils ne savent pas. Ils ont d’abord l’analogie : c’est ainsi qu’ils ont pu composer des volumes sur l’éducation que reçut le jeune Shakespeare à l’école de Stratford, bien qu’ils en ignorent tout ; mais ils ont relevé ce qu’on étudiait dans les écoles voisines. Ils ont encore l’induction (Shakespeare a dû aller dans tel pays, il faut bien qu’il ait connu telle chose, puisque dans une de ses pièces il dit ceci ou cela), mais, de notre point de vue, ce sont là autant de pétitions de principe. Ils ont les suppositions, et ils ont surtout les « traditions ». Quel rôle elles jouent dans la biographie de Shakespeare, les « traditions » ! Pourtant, aux très rares occasions qui se sont présentées d’en vérifier quelque partie, celle-ci s’est trouvée fausse. « C’est un procédé dangereux, qui n’a presque jamais donné de bons résultats, que celui qui consiste à conserver d’un récit, dont rien d’ailleurs n’atteste l’authenticité et où il y a des erreurs manifestes, ce qui n’est pas absolument démontré faux », disait Gaston Paris. En bonne critique historique, il n’y a qu’à écarter purement et