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L’AFFAIRE SHAKESPEARE.

simplement les traditions. Ceux qui ont étudié chez nous la vie de Rabelais, par exemple, savent qu’il ne nous est pas resté de lui une tradition, pas une seule, qui ne soit le contraire de la vérité.

Si l’on voulait se faire une idée de Shakespeare d’après les seuls documents certains, voici en résumé ce qu’on en pourrait penser.

Il naît en 1564 à Stratford, de John Shakespeare, qui exerçait plusieurs petits métiers dans son village, et de Mary Arden, fille d’un fermier. Il épouse, en novembre 1582, une paysanne qu’il avait séduite, nommée Anne Hathaway. Son premier enfant, Suzanne, naît six mois plus tard et deux jumeaux, Hamnet et Judith, en 1585. Un acte le mentionne encore à Stratford en avril 1587, puis il quitte le pays, délaissant sa femme et ses trois enfants, et l’on ne sait plus du tout ce qu’il devient jusqu’en 1591 ou 1592, que Greene le cite comme « factotum » et versificateur. À la Noël de 1594, il joue devant la reine au palais de Greenwich, en 1598 il tient un rôle dans Every man in his humour de Jonson, puis en 1605 dans Sejan. Cependant se déroule la longue et exquise théorie de ses pièces ; on les joue ; on en publie un bon nombre, anonymement d’abord, sous son nom ensuite, sans son consentement probablement, dans des éditions presque toujours grossièrement fautives, où elles sont plus ou moins massacrées, et cela lui est complètement égal. C’est qu’il s’occupe de choses infiniment plus intéressantes pour lui que ces futilités d’art et de littérature : il économise, il place son argent, il surveille ses rentrées, il fait fortune en homme d’affaires