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L’AFFAIRE SHAKESPEARE.

lez-vous avec quel mépris le prince de Danemark lui-même traite ces gens du parterre, « incapables pour la plupart de rien comprendre »…

Mais laissons ces questions de goût et d’opinion qui sont infiniment discutables, et considérons seulement ce fait que plusieurs drames de Shakespeare semblent n’avoir jamais été joués et que certainement quelques autres ne l’ont été qu’après remaniement et adaptation ; les stratfordiens les plus orthodoxes admettent cela unanimement. C’est faire la part belle aux hérétiques. Quoi ! l’acteur Shakespeare, homme de théâtre avant tout, comme on nous le montre, pratique, intéressé, terre à terre, ne travaillant que pour le profit immédiat, ne cherchant qu’à plaire au public, aurait composé ses pièces de telle façon qu’elles ne pussent être représentées qu’après transformation ? Il aurait écrit des pièces injouables ? Imagine-t-on Molière forcé d’ « adapter » le Bourgeois gentilhomme et le Malade imaginaire pour les rendre jouables ? Si le théâtre shakespearien comprend des pièces « impossibles », affirment les hérétiques, c’est qu’elles ne sont pas de Shakespeare.

On a publié en 1916 un magnifique ouvrage, composé par les meilleurs érudits britanniques : l’Angleterre de Shakespeare (Shakespeare’s England). On y voit que l’auteur connaissait fort bien le blason, la chasse, la fauconnerie, l’escrime, l’art militaire, l’équitation, tous les plaisirs aristocratiques, et qu’il aimait de passion la musique. Soit : qu’est-ce qu’une pareille imagination ne saurait deviner et recréer ? Mais il connaissait encore le langage du droit, non point vaguement, mais comme un juriste de profession ; il