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L’AFFAIRE SHAKESPEARE.

rir tout ce bagage, donc en cinq ou en trois ans, car Peines d’amour perdues, sa première comédie, a été composée au plus tard en 1590. À peine serait-ce concevable d’un étudiant riche, et ayant tout le loisir de travailler, et merveilleusement doué.

Mais Shakespeare, dont le père était criblé de dettes, la « tradition » veut qu’il ait commencé par garder les montures des gens qui venaient à cheval au théâtre et par être valet d’acteurs ou quelque chose d’approchant, et le sens commun le veut également. De sorte qu’on voit mal comment il aurait eu le temps et les moyens de faire de si complètes humanités.

Il ne faut pas juger les choses du passé de notre point de vue. À la fin du xvie siècle, un rural différait beaucoup plus qu’aujourd’hui d’un citadin et surtout d’un noble par les mœurs, les façons, le langage. Et Shakespeare, arrivant de sa campagne ou peu s’en faut, aurait débuté par une comédie comme Peines d’amour perdues, « mondaine » entre toutes, plus euphuiste qu'Euphuès, et qui distingue si finement l’emphase espagnole, le gongorisme avant Gongora, de la préciosité anglaise ? Pour expliquer qu’il ait pu tirer sa seconde pièce, les Deux gentilshommes de Vérone, de la Diane de Montemayor dont la première traduction anglaise n’a paru qu’en 1598, M. Sidney Lee expose que, possibly, la traduction circulait manuscrite ; il suppose encore qu’une pièce aujourd’hui perdue en était une adaptation que Shakespeare adapta à son tour. Pour expliquer qu’il ait imité les Mènechmes dans sa Comédie des Erreurs, quand la