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L’AFFAIRE SHAKESPEARE.

Quant aux énigmatiques Shake-Speares Sonnets, ils sont, dit Mme  de Chambrun, « la clef avec laquelle le poète nous a ouvert son cœur ». Hélas ! la serrure est bien embrouillée, car sait-on par combien de systèmes on a tenté de les expliquer jusqu’à présent, ces sonnets ? Environ soixante-dix, sauf erreur. Aussi ai-je été enchanté de voir que M. Lefranc s’est abstenu d’en ajouter un soixante et onzième et qu’il les a laissés de côté avec une prudence louable. Quant aux considérations sur le jeune lord, la dame brune et mariée et Mary Fitton, personne blonde et célibataire, dois-je l’avouer ? elles me rappellent fâcheusement celles où excellent les tireuses de cartes. Ne prenons pas trop au sérieux la graphologie, je le veux bien, mais défions-nous du « grand jeu ».

Mme  de Chambrun assure que les Sonnets sont adressés, comme Vénus et Adonis, comme Lucrèce, à lord Southampton. Elle oublie d’indiquer que ce n’est là qu’une hypothèse. Au juste, le livre est dédié à Mr W. H. On admet le plus souvent que ce Mr W. H. (et non H. W.) n’est autre que lord Henry Wriothesley, comte de Southampton. C’est une supposition vraisemblable. Mais on en a fait d’autres qui ne le sont pas beaucoup moins. Car, à prendre à la lettre les derniers vers du sonnet 25, par exemple, l’auteur félicite celui à qui il s’adresse de n’être pas plus que lui-même d’une condition brillante[1]. Il semble d’ail-

  1. C’était l’avis d’Oscar Wilde, qui a raillé fort comiquement les trop subtils exégètes des sonnets. Il cite à l’appui de son opinion le sonnet 25, qui se termine ainsi : « Heureux suis-je donc, moi qui aime et qui suis aimé sans pouvoir infliger la disgrâce ni la subir. »