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RÉPONSE À DES OBJECTIONS.

le peu qu’on sait encore de lui porte à croire que sa biographie serait le sujet d’un curieux livre. Ah ! comme l’œuvre shakespearienne s’explique mieux si l’on admet que Stanley en a été l’auteur ! Lettré, voyageur, amateur de théâtre, ayant étudié le droit, parlant à merveille le français, passionnément musicien, tel que les documents nous le révèlent, il n’avait pas d’ambition politique. Pourquoi ? Parce qu’il était tout adonné à la composition de mystérieuses pièces de théâtre, nous disent les deux lettres de Fenner. Lui seul a pu écrire Peines d’amour perdues. Et quelles crises intérieures ces mêmes documents permettent de soupçonner chez lui ! À partir de la mort de son frère, il règne une atmosphère tragique chez les Derby. William Stanley connut des heures d’angoisse : il fut sourdement accusé d’empoisonnement ; il eut de cruels démêlés familiaux et sa violence envers sa femme, les scènes de jalousie que vit le château de Knowsley, puis sa retraite à Chester (sa ville de prédilection, qui tient une place remarquable dans les pièces shakespeariennes), tout cela donne à penser. Son entourage le trouvait bizarre, fantasque : on ne le comprenait pas. C’était certainement un homme qui avait, comme on dit, de la vie intérieure.

Mais pourquoi aurait-il écrit sous le nom de Shakespeare ? — J’ai dit plus haut ce que je crois… Ne jugeons pas le passé d’après nos idées modernes. L’époque d’Élisabeth fut une époque d’étonnante fécondité littéraire, mais elle n’attachait pas aux livres l’importance que nous leur donnons. Tout le monde écrivait : c’était la mode ; il était de « bon ton » (comme nous dirions) de ne pas publier ou tout