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LA REINE AUX GRANDES DOULEURS

appelant la mort trop tardive à son gré ; et cependant elle tirait ses beaux et blonds cheveux, tordait ses bras, égratignait son tendre visage si cruellement que le sang vermeil lui coulait sur les joues, et poussait de tels cris que la colline et le val alentour en retentissaient, tant qu’à la fin la voix lui manqua. Et comme elle lamentait ainsi, il lui ressouvint tout à coup de son fils, qu’elle avait imprudemment abandonné au bord du lac, et elle se reprit soudain à courir comme femme affolée vers le lieu où elle l’avait laissé. La peur l’étreignait si fort que le pied lui manqua et qu’elle tomba rudement plus d’une fois, au point d’en rester étourdie. Mais, lorsqu’elle arriva au bas de la colline, tout échevelée et déchirée, elle vit son fils hors du berceau, qu’une demoiselle tenait en son giron et serrait tendrement contre ses seins, tout nu et démailloté, quoique la matinée fût froide et le soleil haut. Et l’étrangère donnait des baisers menus sur les yeux et la bouche du petit, en quoi elle n’avait point tort, car c’était le plus bel enfant du monde.

— Douce amie, s’écria la reine du plus loin qu’elle la vit, pour Dieu laissez l’enfant ! Désormais il n’aura plus que peine et deuil, car il est orphelin. Son père est mort, et il a perdu sa terre qui n’eût été petite si Notre Sire la lui eût gardée.