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MERLIN L’ENCHANTEUR

échapper, elle se réfugia dans sa chambre et se mit à pleurer de tout son cœur dans l’obscurité. Alors l’Ennemi lui remémora la mort de son père et de sa mère, si bien qu’elle désespéra tout à fait, et finit par s’endormir de chagrin sur son lit, sans lumière. Le diable vit ainsi qu’elle avait oublié tous les avis du prud’homme, et il fut bien content. Il revêtit sa forme humaine, et, tandis qu’elle sommeillait, il s’approcha d’elle et il la posséda charnellement.

Lorsqu’elle se réveilla, elle connut bien ce qui lui était arrivé et elle se signa en disant : « Sainte Marie Notre Dame, que m’est-il advenu ! » Puis elle se leva et chercha qui lui avait fait ce qu’elle pensait, mais elle ne vit personne, et elle trouva sa porte fermée comme elle l’avait fermée : ainsi sut-elle que le diable l’avait engeignée.

Alors elle alla conter au prud’homme comment elle s’était trouvée honnie. Il ne la voulut tout d’abord point croire, disant que c’était merveille et que jamais femme ne fut dépucelée sans savoir par qui. Mais, frappé par ses protestations, il lui prescrivit pour pénitence de ne manger jusqu’à sa mort qu’une seule fois le vendredi et de s’abstenir à toujours de luxure, hors celle qui vient en dormant, dont nul ne se peut garder. Et elle le lui promit. Si bien que le diable comprit qu’il l’avait perdue et il en fut très courroucé.