Page:Boulenger - Romans de la table ronde I.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
L’HOMME SAUVAGE

nait avec lui, comme un berger son troupeau, une harde de cerfs, de biches, de daims et de toutes manières de bêtes rousses.

Ainsi fait, l’homme sauvage s’arrête devant le feu et commence de se chauffer en regardant souvent la nourriture et en bâillant comme un affamé. La viande cuite à son gré, il l’arrache de la broche, la dévore sans en rien laisser, avale le pain chaud au miel, boit le lait, et, le ventre plein, s’endort devant le bûcher. Alors Grisandole et ses compagnons s’approchent tout doucement, se jettent sur lui après avoir pris soin d’écarter sa massue, et, l’ayant attaché d’une chaîne de fer, ils le mettent sur un cheval et l’emmènent.

Or, lorsqu’ils eurent cheminé quelque temps, l’homme sauvage regarda Grisandole le sénéchal, se mit à rire, et comme celui-ci l’interrogeait, il lui cria :

— Créature dénaturée, forme muée, trompeuse en toutes choses, poignante comme taon venimeux, empoisonnante comme venin de serpent, tais-toi, car je ne te dirai rien devant que nous soyons en présence de l’empereur.

À quelque temps de là, ils passèrent près d’une abbaye, où une foule de gens attendaient l’aumône. L’homme sauvage, en les voyant, se reprit à rire. Mais quand Grisandole le requit doucement, au nom de Dieu, de lui enseigner pourquoi, il le regarda de travers et lui cria :