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LES AMOURS DE LANCELOT DU LAC

— Nenni, mais de par une autre reine dont je ne dois dire le nom.

— En ce cas, ce n’est pas aujourd’hui que vous aurez mon cheval ! Lâchez mon frein.

Ce disant, il le frappa de son poing, qu’il avait dur et carré, tant que l’autre recula. Alors tous deux prirent du champ ; puis ils s’élancèrent l’un sur l’autre droit comme carreaux d’arbalète et se heurtèrent avec le fracas du tonnerre. Le blanc chevalier poussa d’une telle vigueur sa lance, qu’il renversa ensemble le cheval et l’homme, lequel demeura gisant, tout étourdi. Mais, comme il lui délaçait son heaume pour lui couper le cou ou lui faire crier merci, une voix se fit entendre sans qu’on aperçût d’où elle sortait, tellement douloureuse que le ciel en parut trembler.

— Hâte-toi, Urbain, disait-elle, hâte-toi, ou tu as perdu mon amour !

Quand il ouït ces mots, le chevalier du gué fit effort pour se remettre debout et, comme le blanc champion l’en empêchait, une nuée de grands oiseaux, plus noirs que suie, fondit du ciel sur lui et s’efforça de lui crever les yeux sous son heaume : grâce à quoi le vaincu se dégagea et de nouveau courut sus à son vainqueur. Celui-ci se défendait de son mieux : haussant l’épée, il frappa l’un des oiseaux qui s’abattit sous la forme d’une demoiselle tout ensanglantée. Ce