Page:Boulenger - Romans de la table ronde III, 1922.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
123
LA DAME MAL MARIÉE

roux tel qu’il faillit perdre le sens. Et sachez qu’il ne me fit rien cette nuit-là ; mais, sitôt que messire Lancelot s’en fut allé, il me dit qu’il ne me traiterait plus à l’avenir comme sa femme épousée, mais comme une serve et une chambrière. En effet, il m’a ôté tous mes beaux habits et ne me laisse rien qui vaille seulement un denier ; puis il me force à manger avec les garçons et les servantes de sa maison. C’est pourquoi j’étais songeuse en vous voyant souper avec moi. Hélas ! il y a grand temps qu’un chevalier ne mangea à mon écuelle !

— Dieu m’aide ! s’écria Gaheriet, votre sire vous a mal tenu son serment, puisqu’il vous avait juré sur sa foi de ne vous savoir mauvais gré de rien que vous lui diriez ! Il faudra qu’il s’en avoue déloyal et foi-mentie !

Comme il parlait ainsi, un enfant de dix ans arriva tout courant qui, du plus loin qu’il put, cria à la dame âgée :

— Dame, venez vite à la maison ! Un chevalier veut emmener mademoiselle !

À ces mots, la vieille dame commença de faire paraître le plus grand deuil du monde, disant qu’elle aimerait mieux voir sa fille tirée à deux chevaux qu’épousée par ce brutal, à qui elle l’avait promise avant que de savoir qu’il avait pendu sa première femme pour un très petit méfait. Gaheriet laçait déjà son heaume.

— Dame, j’irai avec vous et je ferai selon