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LE CHÂTEAU AVENTUREUX

maison voisine. Et ainsi demeura-t-il jusqu’au lendemain, souffrant plus encore de la chaleur que du venin, suant à force, incapable de remuer et de parler, et pensant à sa dame et au chagrin qu’elle aurait de sa mort, plus qu’à lui-même.

On avait dressé un pavillon pour l’abriter, et la vieille, les demoiselles, le chevalier et ses gens le veillèrent toute la nuit. Le lendemain, environ midi, on l’entendit enfin murmurer :

— Dieu ! cette chaleur me tue !

— Béni soit Notre Sire qui vous donne le pouvoir de vous en plaindre, répondit la sœur du chevalier, car, par mon chef ! il y a peu de temps, je craignais encore de ne plus jamais ouïr parole de votre bouche !

Elle ôta plusieurs des courtepointes grises, et l’on vit que le corps et le visage étaient désenflés ; mais Lancelot ne pouvait remuer un doigt et tous ses cheveux étaient tombés. Il recommanda qu’on les conservât dans une boîte d’ivoire : c’est qu’il voulait les envoyer à la reine. Puis la demoiselle le fit un peu manger ; et cependant elle se disait : « Hélas ! chétive que je suis, que devrait m’importer sa beauté, puisqu’il ne m’appartient pas ! Mais si fait ! elle m’apporte au cœur une grande douceur et tant d’espérance que j’en serais riche si je ne craignais que mon espoir ne fût trompé : car nous ne sommes que trop déçus dans nos désirs ! »