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LA DEMOISELLE AMOUREUSE

Ainsi songeait-elle en regardant Lancelot manger. Et quand il eut fini, elle commanda qu’on le couchât dans un lit qu’on avait dressé là, et dont elle fit écarter tout le monde pour qu’il pût sommeiller en paix.

Alors elle s’assit à ses pieds à le regarder dormir, et cependant elle se disait encore : « Sire, je vous ai guéri ; mais quelles herbes, quelles gemmes me guériront moi-même de votre beauté dont je languis ? Jamais encore je n’avais aimé d’amour. À présent, j’aime tant et tant qu’il m’en faudra mourir si vous ne me secourez… Je l’ai si bien servi que je ne crois pas qu’il puisse me refuser son cœur… Mais non, il ne saurait aimer une pauvre demoiselle comme je suis ! »

Or, tandis qu’elle disputait de la sorte en elle-même, faisant selon ses pensées tantôt triste figure, tantôt gaie, Lancelot s’éveilla et la vit qui pleurait amèrement : il en fut tout dolent.

— Qui est si hardi, demoiselle, que de vous donner quelque chagrin devant moi ?

— Sire, personne, hors mon cœur qui n’a point tout ce qu’il voudrait.

Là-dessus, elle essuya ses yeux et s’efforça de montrer plus joyeuse mine, mais sans y réussir trop bien.