Page:Boulenger - Romans de la table ronde III, 1922.djvu/49

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qu’il les déchaussa ; pourtant, ce ne fut pas sans se blesser aux doigts.

— Eh bien, dit la reine, attendez que je sois couchée et ne faites aucun bruit à cause de Keu.

Il n’y avait ni chandelle ni cierge, pour ce que le sénéchal se plaignait de la clarté, disant qu’elle l’empêchait de dormir. Lancelot traversa la chambre tout doucement, entra dans la pièce voisine et, quand il fut devant le lit de la reine, il la salua profondément. Elle lui rendit son salut, puis elle lui tendit les bras et l’attira auprès d’elle. Il avait les mains humides de sang et certes elle le sentit bien, mais elle crut que c’était la sueur causée par la verdeur de son âge. Et grande fut la joie qu’ils s’entrefirent, car ils avaient beaucoup souffert l’un par l’autre ; quand ils s’embrassèrent, il leur en vint un tel plaisir que jamais le pareil ne fut éprouvé par personne. Mais on ne saurait dire en un conte quels déduits Lancelot eut toute cette nuit ! Aussi, lorsque le jour parut et qu’il lui fallut quitter celle qu’il aimait autant qu’un cœur mortel peut aimer, ce fut un grand martyre pour lui : son corps partait, son âme demeura. Il s’agenouilla devant sa dame pour prendre congé, tandis qu’elle le recommandait à Dieu tendrement. Puis il s’en fut, après avoir remis soigneusement les barreaux en place ; et la reine s’endormit en pensant à lui.