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LE CHEVALIER À LA CHARRETTE

trier d’Espagne, un chevalier entra au château : c’était Lancelot. Ah ! quelle joie lui fit messire Gauvain ! Sur-le-champ, il se défit de son écu, de son heaume, de son haubert, et son ami s’arma de ses armes. Le roi, cependant, accourait embrasser Lancelot, et la reine après lui, et les compagnons ; et déjà toute peine était oubliée, car le bonheur défait et efface la douleur à l’instant. Mais Lancelot, lui, n’oubliait pas Méléagant et il se hâta d’aller à lui.

— Méléagant, dit-il à son ennemi tout ébahi de le voir, vous avez assez crié et brait pour avoir votre bataille ! Mais, grâce à Dieu, je suis hors de la tour où vous m’aviez enfermé par trahison. Il est trop tard pour clore l’étable, comme dit le vilain, quand les chevaux n’y sont plus.

Tous deux se rendirent dans un vallon, entre deux bois, tout semé d’herbe fraîche et menue ; à l’abri d’un sycomore planté au temps d’Abel pour le moins, courait une fontaine vive sur des graviers clairs comme de l’argent : le roi s’assit là avec la reine, après avoir posé des gardes, et, quand le cor eut donné le signal, les deux champions laissèrent courre leurs chevaux.

Au premier choc, la lance de Méléagant vola en éclats : car ce n’était pas sur la mousse qu’il frappait, mais sur des ais durs et secs ! Celle de Lancelot perça l’écu et le serra au bras, et le bras au corps, et fit plier le corps sur l’arçon, et