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Page:Boulenger - Romans de la table ronde IV, 1923.djvu/232

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ÉCLAIRCISSEMENT

Heureusement, dans le même temps qu’elle reçoit de Provence ce catéchisme de l’amour de tête, cette casuistique du cœur, cet herbier de plantes sèches, la France de langue d’oïl découvre dans la matière de Bretagne la passion pure. Ici, l’amour n’est plus un effet du raisonnement ; on n’aime plus parce qu’on admire ou afin de se perfectionner : on aime tout simplement, sans raison, presque mystiquement, « Nulle rhétorique de sentiments, nulle théorie ; pas de règles d’amour » ; c’est la passion mystérieuse, invincible, plus forte que la mort, plus forte que la crainte de l’enfer, celle de Tristan, de Lancelot. Et dans les cours françaises la mode provençale et la mode bretonne sont toutes deux en honneur. Comment elles se concilient et s’unissent, c’est ce qu’on voit dans l’œuvre de Chrétien de Troyes.

Ce poète mondain avait fait vers 1160 des traductions d’Ovide et un poème sur Tristan qui sont perdus ; puis il composa cinq récits en vers qui se rattachent au cycle de la Table ronde : Erec, Cligès, Lancelot ou la Charrette (entre 1164 et 1174), dont la comtesse Marie de Champagne, fille de Louis VII et de la reine Aliénor, lui avait fourni le sujet et qui fut terminée par Godefroy de Lagny, puis Yvain ou le Chevalier au lion, enfin Perceval ou le Conte du Graal (entre 1168 et 1191) qu’il laissa inachevé. À l’ordinaire tous ces poèmes sont assez incohérents et leurs personnages n’ont aucun caractère ni couleur : ce sont des mannequins