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Page:Boulenger - Romans de la table ronde IV, 1923.djvu/78

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MORT DE LA PUCELLE QUI JAMAIS NE MENTIT

son sang coula jusqu’à emplir l’écuelle. Alors son cœur s’évanouit : elle pâma dans les bras de ses compagnons.

— Beaux doux seigneurs, dit-elle en reprenant son haleine, je vous prie de ne pas enterrer mon corps dans ce pays : quand je serai morte, mettez-moi dans une nacelle sans voiles ni avirons, et j’irai où mon aventure me mènera. Demain, vous vous séparerez : chacun de vous suivra sa voie ; mais sachez qu’un jour vous vous retrouverez, car ainsi le veut le Haut Maître.

Et quand ils lui eurent promis de faire sa volonté, elle reçut le Corpus Domini, puis trépassa du siècle. Cependant on lavait dans son sang la dame du château qui fut ainsi nettoyée de sa lèpre et dont la chair redevint aussi belle et fraîche qu’elle était auparavant noire, obscure et laide à voir. Galaad, Perceval et Bohor firent embaumer le corps de la morte non moins richement que si c’eût été celui d’un empereur ; après quoi ils le placèrent sur une nacelle sans voiles ni avirons, avec un bref où était relaté tout ce que la pucelle avait fait ; enfin ils poussèrent la nacelle à la mer, et le vent l’emporta, gaillarde et légère.

Tant qu’ils purent la voir, ils demeurèrent sur le rivage, pleurant si amèrement qu’on n’aurait su les entendre sans s’émouvoir, et ils ne voulurent pas rentrer dans le château où était morte celle qui jamais ne mentit : ils firent