Page:Bouniol - Les rues de Paris, 1.djvu/120

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de la mémoire dérobe le sens de beautés que faute d’expérience, il avait déjà bien de la peine à saisir. Les comprît-il parfaitement, à force de les relire et de les ressasser pour retenir le mot à mot, il ne tarde pas à se blaser tout à fait sur les passages les plus sublimes et quelquefois irrémédiablement, pour la vie. Du moins, en ce qui me concerne, ai-je éprouvé qu’il a fallu de longues années avant que ces auteurs latins ou français, et je dis les meilleurs et ceux-là surtout, trop appris par cœur dans la jeunesse, retrouvassent pour moi le charme de la nouveauté et que j’y découvrisse ces détails admirables, cette grâce ou cette majesté que tant de fois j’avais entendu vanter naguère, sans y croire autrement que sur parole et sous bénéfice d’inventaire.

Ainsi m’arriva-t-il pour Virgile, pour Boileau, Corneille, La Fontaine, Racine et tout particulièrement pour Bossuet contre lequel, qui sait pourquoi ? ma prévention était plus opiniâtre, peut-être parce que je le connaissais moins que les autres. En outre des Oraisons funèbres, je n’avais guère lu que le Discours sur l’Histoire universelle, et précisément à l’époque où, par la complète ignorance des choses de la vie, on se passionne pour les sottes inventions du roman. Aussi le volume de Bossuet m’avait médiocrement intéressé, et par le souvenir quelconque que j’en gardais, je restais un admirateur singulièrement tiède du grand écrivain, et même, à parler rondement, je ne l’admirais pas du tout, me gênant peu pour le dire. Bien au contraire, avec cette outrecuidance et cet aplomb qui sont le propre du jeune homme d’autant plus tranchant qu’il ignore davantage, je mettais une sorte de vanité, vanité sotte, à dénigrer