La Bruyère dit excellemment : « Quand une lecture vous élève l’esprit et qu’elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger l’ouvrage, il est bon et fait de main d’ouvrier. »
Très bien ! mais si je ne craignais de paraître téméraire, j’exprimerais le doute que telle soit l’impression qui résulte le plus habituellement de la lecture des Caractères et non pas plutôt une disposition railleuse, ironique, sarcastique, un sentiment de dédain et de mépris pour l’humanité. Le tort du moraliste précisément, c’est de s’adresser trop à l’esprit, à l’intelligence, et, dans son livre il n’y a pas assez pour le cœur. J’ajouterai qu’en certains endroits, quand il s’agit de sujets chatouilleux, qui se rencontrent dans l’étude des passions, le moraliste, en témoignant de sa sagacité comme observateur, ne fait pas toujours assez preuve de discrétion ; dans le chapitre sur les Femmes entre autres, il est telle phrase qu’on aurait plaisir à effacer, sûr de l’approbation du sexe, celle-ci par exemple :
« Il y a peu de femmes si parfaites qu’elles empêchent un mari de se repentir, du moins une fois le jour, d’avoir une femme, ou de trouver heureux celui qui n’en a point. »
La Bruyère, au reste, je le répète, n’est point le livre des jeunes gens et moins encore des demoiselles.
Après ces réserves, appréciant les procédés de l’écrivain, je n’hésiterai pas à dire avec Suard : « Ce n’est pas seulement par la nouveauté et la variété des mouvements et des tours que le talent de La Bruyère se fait remarquer ; c’est encore par un choix d’expressions, vives, figurées, pittoresques ; c’est surtout par ses heu-