Page:Bouniol - Les rues de Paris, 1.djvu/218

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généreusement fidèles, l’institution rendit à la civilisation d’immenses services, dont les peuples lui furent reconnaissants. Aussi, quoique disparue depuis des siècles, elle a laissé, ainsi qu’on l’a dit, « des traces ineffaçables de son souvenir dans nos mœurs, dans nos idées, dans notre langage, dans les rapports de famille, et dans le droit des gens. »

Mais on ne peut dissimuler pourtant que, par l’exaltation de certains sentiments, la chevalerie, celle surtout qu’on appelait la chevalerie errante, fut entraînée à des écarts qui précipitèrent sa décadence, écarts qu’aujourd’hui nous avons peine à croire, tant sont prodigieuses ces exagérations, dont plusieurs, tout probablement, furent des actes de folie véritable qui conduiraient maintenant leur auteur à Charenton. Il y eut alors chez certains chevaliers un étrange amalgame des pratiques de la religion avec la fidélité, on pourrait dire, la dévotion à la Dame de leurs pensées, dont le culte devenait une espèce d’idolâtrie à la fois superstitieuse et fanatique. Car le chevalier prenait les couleurs de sa dame, subissait avec une humble soumission ses dédains, ses caprices, si déplaisants qu’ils fussent ; bien plus, il l’invoquait à l’heure du combat, même à l’heure de la mort. C’est à cette divinité terrestre qu’il rapportait toute la gloire de ses exploits.

On voyait, pour citer quelques exemples, tel chevalier qui, pour expier un tort souvent imaginaire, s’arrachait un ongle, se coupait même un doigt, qu’il envoyait en témoignage de repentir à la belle offensée. Un autre se couvrait un œil d’un bandeau et se condamnait à ne pas y voir pendant un laps de temps considérable.