Page:Bouniol - Les rues de Paris, 1.djvu/317

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Bonaparte serra Desaix dans ses bras à plusieurs reprises, et se plut à le montrer à cheval à ses côtés, comme un gage assuré de la victoire ; il ne se trompait pas. Mais cette victoire, Desaix devait la payer de son sang. On sait toutes les vicissitudes de cette étrange bataille de Marengo, où Mélas, qui se croyait victorieux, fut le vaincu. Un moment cependant, dans l’armée française, on crut tout perdu. Les généraux, formés en cercle autour du premier Consul, le pressent d’ordonner la retraite. Bonaparte s’y refuse en demandant l’avis de Desaix. Celui-ci tire sa montre et dit au général en chef : « Oui, la bataille est perdue ; mais il n’est que trois heures, nous avons encore le temps d’en gagner une autre. »

À l’instant, l’offensive est reprise à la voix de Bonaparte, qui parcourt le front des régiments en disant aux soldats : « C’est avoir fait trop de pas en arrière ; le moment est venu de faire un pas décisif en avant. Soldats, souvenez-vous que notre habitude est de coucher sur le champ de bataille. »

Sur toute la ligne, la fusillade et la canonnade recommencent. Une charge, surtout, exécutée par Desaix, décida la victoire. Mais, au moment même où les cavaliers arrivaient sur l’ennemi comme une furieuse avalanche, on vit Desaix chanceler sur son cheval et tomber sans avoir pu proférer une parole, au dire du dernier biographe. Le soir, comme les officiers félicitaient Bonaparte de cette belle journée, il répondit : « Oui, bien belle, si ce soir j’avais pu embrasser Desaix sur le champ de bataille. J’allais le faire ministre, je l’aurais fait prince si j’avais pu. »