Page:Bouniol - Les rues de Paris, 2.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Terminons par le récit de quelques épisodes intéressants. Après la levée du siége de St-Jean d’Acre, l’armée sous un ciel de feu, s’avançait péniblement à travers les sables ; tous mouraient de soif. Soudain un puits se présente ; chacun se précipite ; c’est à qui boira le premier sans distinction de grade. Monge en ce moment arrive, la foule si compacte s’entr’ouvre devant lui, et de tous les côtés on s’écrie :

— Place à l’ami intime du général en chef !

— Non, non, répond l’illustre savant, les combattants d’abord, je boirai ensuite, s’il en reste.

À quelques jours de là, toujours dans le désert, un soldat, passant auprès de Monge, jette sur la gourde qu’il portait en sautoir, « un regard où se peint tout à la fois, dit Arago, le désir, la douleur, le désespoir. » Monge a compris, et tendant la gourde au soldat, il lui dit : « Bois un coup, mon brave. »

Le soldat ne se fait pas prier, mais après deux ou trois gorgées, il rend la gourde à son propriétaire : « Hé ! lui dit affectueusement le savant, bois encore, bois davantage. — Merci, merci, répond le brave soldat ; vous venez de vous montrer charitable et je ne voudrais pour rien au monde vous exposer aux douleurs atroces que j’endurais tout à l’heure. » « Monge, dit un jour Napoléon au savant, je désire que vous deveniez mon voisin à Saint-Cloud. Votre notaire trouvera facilement dans les environs une campagne de deux cents mille francs ; je me charge du paiement.

— Sire, répondit Monge, je suis touché profondément de cette offre généreuse, mais permettez-moi de refuser dans ce moment où le public, à tort ou à raison,