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Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/153

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souvenir d’un peuple dispersé

à ce que la distribution de ces provisions se fit régulièrement et sans embarras pour le service militaire, qui devenait excessif au milieu d’une population entière devenue prisonnière. Il obtint aussi que les chefs des familles iraient, les uns après les autres, passer quelques heures dans leurs maisons pour aider les femmes dans les préparatifs du départ, et pour leur adoucir les déchirements de l’adieu. Mais cette disposition, quelque peu humaine, n’eut en partie son exécution que deux ou trois jours avant l’embarquement des exilés. Il n’y eut que le père Landry et l’oncle LeBlanc qui reçurent de suite cette faveur. On en devine en partie la raison ; le vieux notaire avait une grande influence sur sa nièce, et dans l’absence de prêtre on pouvait avoir besoin du secours de sa profession…


XI

Le père Landry était rendu parmi les siens depuis quelques heures, et il ignorait à quel titre il jouissait de cette liberté exceptionnelle et quelle en serait la durée, quand George fit appeler dans sa chambre Pierriche, qu’il avait pris chez lui la veille, sous prétexte de le retenir à son service, mais au fond pour le conserver à la pauvre veuve, et se ménager encore le bon vouloir de cette femme qui lui avait toujours été si favorable. Au reste, s’il ne pouvait pas obtenir leur grâce, il désirait sincèrement veiller à ce que la mère ne fût pas séparée de son fils dans son exil. Lorsque le garçon fût entré, l’officier lui dit, en lui tendant une lettre :

— Tu vas porter ceci à monsieur Landry ; tu le trouveras chez lui et tu t’informeras de ma part de l’état de la famille. En passant tu iras voir ta mère, pour la consoler un peu. Tu lui donneras ceci pour moi ; — et il mit dans la main du gars quelques pièces d’or. — Dis-lui de prendre courage, que je veillerai sur elle, que ni toi ni ton frère ne seront séparés d’elle. J’ai fait donner à Janot tout ce qu’il lui faut pour ne pas souffrir. Tu l’avertiras en même temps de ne pas être effrayée, le 9, à six heures du soir, car il doit se faire une exécution sur la ferme… On y fusillera quelqu’un…

— Dieu, mon maître ! s’écria Pierriche ; mais qui vont-ils ainsi défuntiser, monsieur George ?

— Le nommé Jacques Hébert.

— Quoi, lui ?… l’ancien de Mlle Marie, que nous croyions déjà