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jacques et marie

choses les plus urgentes ; les maîtres ne se chargeront probablement pas d’un gros bagage ; ils tiennent plus à exporter nos corps que notre marchandise.

— Oui, répondait sa fille, mais prenez toujours ces bonnes flanelles et ces couvertures ; on ne peut pas en avoir trop ; c’est bientôt l’hiver, vous pourriez être malade et nous coucherons peut-être dehors… Et puis, père, vous êtes vieux, vous ; ils auront bien un peu pitié d’un vieillard ?… — Le père secouait la tête et prenait. — Ajoutez donc, cette autre casaque, continuait Marie, et ces deux juste-au-corps, et ce frac, et ces vestes, et ces mitasses, et ceci… Mettez, mettez toujours, le voyage sera long, et nous ne pourrons pas coudre de sitôt, peut-être…

— Mais pour toi, ma Marie, tu ne m’apportes rien ?

— Oh ! soyez tranquille, je ferai bien mon petit paquet ; je le mettrai avec celui de ma mère ; — et elle jetait parmi les habits de celle-ci tout ce qu’elle croyait devoir être utile à la bonne femme, mais rien ne tombait pour elle-même.

Une fois, son père la vit venir avec une brassée prise tout d’une pièce dans la lingerie ; le morceau semblait enveloppé depuis longtemps ; Marie le laisse tomber près du vieillard et allait repartir sans trop savoir ce qu’elle venait de faire, quand le père l’arrêta :

— Mais où veux-tu que je le place ceci, pauvre enfant ? C’est bien gros i Qu’est-ce qu’il y a là dedans ?…

— Tiens, connue je suis folle !… Mais je ne sais plus ce qu’il y a là dedans… c’était parmi d’autres paquets semblables. — Là dessus, elle fit partir les attaches et il jaillit de l’enveloppe, trop tendue, un nuage de blancs et légers tissus, au milieu duquel reposait, comme une couvée de colombes dans son nid de duvet, une couronne de fleurs d’oranger artificielles ; de tout cela s’exhalait le parfum du foin de la vierge. La pauvre enfant fit un cri de surprise, et se cacha le visage de ses deux mains… C’était le trousseau de la mariée, qu’elle avait préparé, dans les longs soirs de l’hiver de 1749, pour charmer son attente et s’entretenir de son bonheur futur, dans le secret de sa chambre. La toilette était restée ainsi au fond de l’armoire, où, dans les familles économes de cette époque, on reléguait les habits qui ne devaient servir qu’aux quatre fêtes de l’année. Ceux-ci attendaient la grande fête du retour…

Le père Landry, navré, regarda sa fille quelque temps, n’osant articuler une parole ; puis quand il vit qu’elle sanglotait, il enlaça ses bras autour de son cou et il la pressa sur son cœur. Après un instant, Marie lui dit :

— Père, vous me teniez comme cela, quand il partit : vous